mardi 6 septembre 2011

Saab : General Motors m'a tuer

Saab 900 Turbo 1978-1993
En Suède, c'est "une demande de placement sous protection de la loi sur les faillites". Une demande rejetée d'ailleurs. En France, c'est un dépôt de bilan. Et c'est précisément ce qui vient d'arriver à Saab. Ce dernier acte sans surprise était attendu depuis une semaine. Depuis que la marque avait annoncé des pertes décuplées en l'espace d'un an, passant de 21,9 millions de déficit au premier semestre 2010, à 201,5 million d'euros au bout de la même période de cette année. Comment a t-on pu en arriver-là ? Comment une marque, dont l’image impeccable aurait pu lui assurer une place dans les mythologies modernes et CSP+, peut-elle sombrer dans un coma aussi profond qu’irréversible ?
Un seul modèle
La réponse est, en partie, américaine et le début de la fin remonte à 21 ans déjà. C’est en 1990 que General Motors, alors premier constructeur mondial, s’offre 50% du capital du petit constructeur suédois. Une aubaine : l’image de sportivité, de fiabilité et de luxe janséniste font un tabac auprès des fidèles. Saab, à cette époque, c’est avant tout un modèle : la 900 turbo. Une drôle d’auto, avec une mécanique inusable mais gourmande et un design simplissime. Mais un seul modèle, c’est peu. Il y a bien une 9000, une voiture plus grande, plus insipide, que personne ne voit et que personne n’achète. Le constructeur va mal et le géant américain va se pencher à son chevet. Avec une stratégie toute financière. 
Des voitures puzzle
Peu à peu, les modèles vont évoluer. Un mal nécessaire, mais au lieu de créer de nouvelles autos, les ingénieurs de Tröllhatan, le fief historique de Saab, vont faire leurs courses dans les énormes banques de données du groupe. Car le budget de recherche-développement minimaliste fait loi. Des moteurs ? Des châssis ? Ils vont en trouver chez Opel, en Allemagne, chez Fiat en Italie, ou même chez Cadillac à côté de Detroit. Du coup, les nouvelles 9-3 et 9-5, modèles toujours en vente, sont d’étranges puzzles, constitués de moteurs italiens et de trains roulants allemands. Mais une Saab, c’est plus cher qu’une Fiat ou une Opel. Et les addicts du premier jour ne s’y retrouvent plus. Alors que les nouveaux clients attendus ne se pressent pas non plus. Car les conducteurs d’une Vectra (Opel) ou d’une Chroma (Fiat) n’ont aucune raison de pousser la porte d’un concessionnaire Saab qui a gardé quelques réflexes de condescendance de sa gloire passée. Et puis, pourquoi ce nouveau client s’offrirait-il une auto simplement rebadgée d’un sigle prestigieux, pour 10 000 euros de plus que sa Fiat-Opel ordinaire ?
Le gouvernement suédois n'en veut pas
Les clients s’envolent et les ventes dégringolent. Au point que, quand la bourrasque de 2008 survient, lorsque GM est au bord de la faillite, le petit constructeur du froid est vendu au premier venu. C’est une marque encore plus petite qui le rachète. Tellement petite que Spyker, c’est le nom de l’entreprise hollandaise et acheteuse, n’a vendu l’an passé que 36 voitures. Qu’espérait Victor Muller, le Pdg de Spyker, en investissant (un peu) dans le suédois moribond ? récolter de l’argent public en mettant en avant le sort des 6000 salariés de Saab. Raté : le gouvernement suédois refuse.  Le ministre de l’industrie de l’époque lui réplique que « les électeurs veulent des crèches, des hôpitaux et des policiers. Pas des constructeurs automobiles qui font des pertes. »
10 milliards de dollars dilapidés
Aujourd’hui, le fiasco est presque total. La production de voitures est arrêtée depuis le mois d’avril, et les salaires sont versés grâce à la vente des produits immobiliers. Jusqu’à ce que la dernière parcelle de l’usine de Tröllhattan soit dispersée. Le nombre d’autos écoulées est passé de plus de 120 000 dans les années 90 à 31 000 l’an passé et les recettes ont fondu de manière plus exponentielle encore. Pourtant, GM a réalisé des investissements lorsqu’il était aux affaires : près de 10 milliards de dollars se sont évanouis dans les brumes sudéoises. Selon des économistes locaux, cela correspondrait à une perte sèche de 5000 dollars par Saab vendue depuis vingt ans. Plutôt cher, le design janséniste.