lundi 19 décembre 2011

Saab victime de la guerre sino-américaine

Saab 9-4X, l'ultime voiture de la marque ©Saab automotive
 
Voilà, c’est fini. Après deux ans d’agonie, le constructeur suédois Saab serre définitivement le frein à main et claque la portière. La marque s’est déclarée en faillite auprès du tribunal de Vänersborg. Totalement insolvable, l’entreprise a prévenu ses fournisseurs qu’ils n’avaient plus qu’à sonner à la porte de l’administration suédoise pour qu'ils tentent de se faire régler leurs dernières factures.

Et pourtant, deux groupes chinois, Youngman et Panda se tenaient prêts à injecter des liquidités dans l’affaire. Et s’ils ne l’ont pas fait, c’est parce que General Motors s’y est opposé. De quel droit ? Le géant américain n’est plus propriétaire de la marque puisqu’il l’a cédé en 2009 à un entrepreneur néerlandais et aventurier. Sauf que les voitures que le Suédois continuait à sortir au compte-gouttes de ses chaînes de Tröllhattan étaient des voitures GM très bien maquillées certes, mais ultra proches des Cadillac et Opel, propriétés elles aussi de General Motors. Et ce qui intéressait en premier lieu le constructeur et le distributeur chinois prêts à racheter la maison, ce n’était ni la flamboyante marque suédoise, ni la petite usine scandinave qui emploie toujours 3700 personnes. Mais bel et bien les brevets qui se cachent sous les capots des Saab-Opel-Cadillac. Que le transfert technologique figure sur le bon de commande, était une condition absolue pour que les chinois mettent la main à la poche. Le géant américain a donc refusé.

Licencier 6000 personnes tout de suite ou 12000 plus tard ?
Évidemment, la décision de GM est lourde de conséquence pour le personnel de Saab, les équipementiers et les filiales étrangères. Ce qui représente près de 6000 personnes qui devraient se retrouver très vite au chômage. Même s’ils se raccrochent à l’infime espoir de voir débarquer un repreneur zorro, susceptible de renflouer la boutique sans quémander le moindre brevet. Et donc sans avoir la possibilité de fabriquer de nouvelles voitures, sauf s’il les crée de toutes pièces. Mais la décision du groupe américain n’a pas dû être très longue à prendre. Le nouveau carrosse suédois, le 4X4 Saab 9-4X, qui intéressait particulièrement les Chinois et devait débarquer chez nous au tout début de l’année prochaine, est fabriqué au Mexique, dans la même usine et sur la même chaîne que son cousin le Cadillac SRX. Logique, puisqu’il s’agit d’une seule et même auto. Cette Cadillac est l’un des fleurons de GM et la meilleure vente de la marque aux US. On imagine donc assez mal les dirigeants de GM acceptant de livrer aux acheteurs asiatiques, le mode d’emploi complet pour fabriquer son best-seller, sans aucun recours de plagiat possible, puisque le transfert aurait été accepté et acté. Les financiers de Detroit ont donc sorti leur calculette pour comparer et trancher. D’un côté leur usine mexicaine, presque la banlieue américaine, ses 12000 salariés et les milliers de garagistes Cadillac à travers les Etats-Unis. De l’autre côté, à 9000 kms de là, une usine de 3 700 personnes, dans une ville, Tröllhatan, au nom imprononçable pour un cadre du Michigan. Leur choix fut aisé et les victimes suédoises sont celles d’une guerre que se livrent, et que n’ont pas finies de se livrer, les groupes occidentaux et chinois. Une guerre du protectionnisme qui fait des victimes : les pays qui n’ont pas pu, ou voulu, en leur temps, conserver leur outil industriel. C’est justement le cas de la Suède, puisque l’autre et seul constructeur national a été vendu en 2010. A un autre groupe Chinois.

mercredi 14 décembre 2011

Sarkozy fustige les délocalisations automobiles qu'il a entériné

Renault Latitude, une coréenne rebadgée ©Renault

Il a beau jeu de prendre la voiture pour cible. Mais Nicolas Sarkozy s’est quelque peu fourvoyé, mardi à Sallanches, en taclant l’automobile française. Car si la désindustrialisation est une réalité française, prendre pour exemple les constructeurs hexagonaux, revient à caillasser l’une des très rare production de produits manufacturiers de l’hexagone. Parce que, même si ses jours sont comptés, la filière emploie bon an mal près de 700 000 salariés. Parce que nombre de modèles sont toujours fabriqués (du moins assemblés) du côté de chez nous. Et surtout parce que, si mauvais élève délocalisateur il y a (car il y en a un), c’est justement celui dont l’Etat est actionnaire à hauteur de 15, 01% et qu’il siège au conseil d’administration de Renault ou sont entérinés toutes les décisions stratégiques.  Il en est même un partenaire de poids puisqu’il détient la plus forte participation, légèrement plus importante que celle de Nissan. De quoi peser sur le choix d’un site industriel, comme celui de Palencia, en Espagne où est fabriquée la gamme Mégane, les voitures les plus vendues en France au mois de novembre dernier. On pourra rétorquer que la recherche et le développement de ces modèles et de leurs motorisations est belle et bien française. Mais qui sont les ingénieurs qui se sont penché sur le Koleos, le 4x4 du losange, ou sur la nouvelle berline Latitude, haut de gamme revendiquée de la marque ? Ces deux modèles ne sont que des voitures coréennes rebadgées de la marque Samsung, propriété du groupe. Seuls quelques designers hexagonaux se sont donc approchés de leur calandre pour leur donner une allure maison.

Des 4x4 coréens et japonais rebadgés
Ironie du sort, c’est aujourd’hui PSA qu’on attaque pour ses délocalisations avérées et programmées, évidemment liés aux 5 000 suspensions de poste annoncés par son PDG Philippe Varin. Or si Peugeot et Citroën s’adonnent volontiers au sport de l’off shore, les deux marques le pratiquent légèrement moins que leur concurrent, du moins pour le moment. La petite C3, qui figure dans le Top 10 des ventes françaises est fabriquée à Poissy et à Aulnay Sous Bois. Et si l’on peut avoir de sérieux doutes sur l’avenir de cette dernière usine, en grève ce jeudi, elle n’en a pas moins fabriqué 195 500 citadines Citroën made in 93, rien que l’an passé. La 308, voiture compacte de Peugeot, sort quant à elle des usines de Sochaux. Evidemment, PSA ne résiste pas à l’appel du large. Et use lui aussi de la méthode Renault qui consiste à reprendre à son compte les autos (étrangères) des autres. C’est le cas du 4x4 japonais Mitsubishi Outlander, devenu, par la grâce de la multiplication des marques, C-Crosser chez Citroën et 4007 chez Peugeot.

Des délocalisations entérinées par l'Etat
Pas question, du coup de dédouaner PSA, largement titillé par une grosse envie d’aller produire ailleurs pour moins cher. Et qui ne devrait pas tarder à passer à l’acte un peu plus encore, sans que l’Etat n’y puisse grand chose. Il est simplement curieux de noter la mauvaise foi, ou du moins l’oubli de quelques réalités, d’un président de la République qui met en cause des délocalisations engagées par une entreprise (Renault, en l’occurrence) sur les décisions de laquelle il peut peser. Et qu’il a, par voie de conséquence, entériné.

mardi 6 décembre 2011

l'Autolib' c'est bien, surtout là ou l'on n'en a pas besoin

La voiture self-service du groupe Bolloré ©DR
 
La belle idée que voilà. Une voiture silencieuse, facile à conduire, qui ne pollue pas, que l’on emprunte juste le temps qu'il faut et aussi facilement qu’un chariot de supermarché, ce qui coûte moins cher qu’une voiture personnelle. On l’attendait et l'Autolib’ est arrivée. Sauf que le déploiement prévu (3000 autos électriques dans 750 stations) n’est pas vraiment là où on l’attendait, justement. Une fois encore (une fois de plus ?) l’inextricable pelote des transports en région parisienne est démêlée à l’envers. Et pour plusieurs raisons.

Autolib’ se concentre trop sur la capitale
On le sait, Paris intra-muros est l’une des capitales mondiales les mieux desservies en matière de transports en commun. Pas en qualité certes, mais en quantité sûrement. La règle imposée par Fulgence Bienvenüe et ses successeurs planificateurs de lignes est toujours d’actualité : il est quasi impossible d'arpenter plus de 800 mètres de la capitale sans rencontrer une bouche de métro. De plus, un déplacement souterrain à travers la ville ne nécessite pas plus de deux correspondances. Un système que les métros new-yorkais, moscovites ou londoniens nous ont toujours enviés. Le problème est ailleurs, en banlieue, précisément. Et surtout dans les déplacements entre ces villes qui entourent Paris. Et qui, depuis longtemps, ne passent plus par la capitale. On vit dans une banlieue, on travaille dans une autre, et l’on se divertit dans une troisième. Or, comment se répartissent les stations Autolib' ? Ou plutôt comment vont-elles se répartir lorsque elles seront toutes construites ? Paris en comportera 528. Et toute la banlieue, du moins les 46 communes qui ont accepté de recevoir les autos du groupe Bolloré, se contenteront des 222 restantes. C’est peu là où il en faudrait beaucoup. Et c’est beaucoup là ou il en faudrait moins. L’archi-saturation de l’A86, de l’A104 et des principaux axes autour de Paris n’est donc pas prête d’être résorbée. Quant à Paris intra-muros, les bouchons ne risquent pas d’y être réduits là non plus. Surtout si les habitants de la capitale délaissent les transports en commun pour les Autolib’. Certes, celles-ci ne pollueront pas, mais les voitures qui les entourent produiront plus de C02 et de particules de gazole, puisqu’un afflux de nouveaux véhicules provoqueront forcément des encombrements supplémentaires.

Autolib' ne prête qu’aux riches
Et puis, en examinant la carte d’Ile de France qui indique les actuelles et futures stations Autolib, on se rend compte d’un choix social évident. L’Ouest et le Sud-ouest de Paris sont privilégiés, ainsi que l’enclave chic du Sud-Est (Saint Mandé, Saint Maurice). Pour les villes plus populaires du 93 ou 95, on repassera. Si l’on n’a pas la chance de résider à Drancy, ou Romainville, quelques unes parmi les rares exceptions à cette règle du CSP+. Tous ceux de Bondy, Bobigny, Sevran ou Aulnay sous Bois continueront allègrement de polluer et d'embouteiller leur riante banlieue et ses autoroutes A1 et A3.

Autolib' n’aime pas les zones industrielles
On nous rétorquera, avec raison, que le système Autolib’ n’est pas prévu pour les déplacements quotidiens domicile-bureau. Un cas de figure ou la location s’avère beaucoup trop chère. Certes. Mais n’est-il pas destiné, au delà des loisirs, à être utilisé de manière professionnelle occasionnelle, histoire d’honorer ses rendez-vous dans les lointaines banlieues ? Or, l’activité se concentre dans de grandes zones industrielles comme celles de Marne La Vallée, ou aucune station n’est prévue, ou, à l’opposé, à Saint Quentin en Yvelines, ou l’on n’aperçoit pas non plus le bout d’un capot d’Autolib’.

Autolib’ est aux prises avec les bisbilles politiques
Evidemment, ces discriminations ne sont pas toutes volontaires. Même si la logique du groupe Bolloré qui compte rentabiliser ses lourds investissements paraît claire. Mais elles résultent, comme souvent, de mésententes politiques qui ne sont pas forcément liées à un clivage gauche – droite. Si Bertrand Delanoë a porté le projet à bout de bras avec l’industriel, comme il le fit en son temps pour le Vélib avec le groupe Decaux, il n’a pas toujours été suivi par les élus socialistes de la région, ni même par sa propre majorité à la Mairie de Paris. Les conseillers municipaux verts de la capitale s’y sont opposés et Dominique Voynet, maire de Montreuil, a bouté les autos électriques hors de sa ville. Autant de bisbilles qui font aujourd’hui du tort à la juste répartition des stations. Et qui est en train de transformer une bonne idée en fausse bonne idée.